Tatiana Gorgievski
Paris, France
EDJI is thrilled to present L'inconnu (the unknown); a solo exhibition by Brussels-based French artist Tatiana Gorgievski. This exhibition marks the artist’s inaugural solo show, following her graduation from La Cambre School of Visual Arts (Brussels) in June earlier this year.
Exhibition text, by Tatiana Gorgievski :
English version available upon request.
Les sens multiples de ce titre font signe vers ce mystère qui excède le langage et que cette exposition cherche à rendre sensible dans chaque peinture. Car l’inconnu est d’abord l’inconnu qui se montre : cette hyprésence première des choses, qui ne signifie rien si ce n’est sa propre énigme, fait nu que quelque chose apparaisse.
Comme dans L’abîme, l’inconnu est parfois palpable lorsqu’il baigne le monde familier d’étrangeté à la façon de l’Unheimliche freudien, rend les lieux et les êtres presque trop intensément présents et irréels en même temps. Il est ce point de basculement aussi, cet instant où je ne sais ce qu’il advient, comme dans L’impartageable - dont la violence latente fait écho à l’ambiguité de la domination dans La nudité du roi. L’inconnu est le fond du réel enfin, qui se dévoile lorsque l’aspect connu du monde se distord, et que l’insondable nous transperce comme il traverse Une vigilance adossée à une possibilité de sommeil. Alors, comme pour la femme d’Obscure épiphanie, son impact devance la pensée et ne nous laisse que ces « sensations fugitives et brûlantes » dont parle Anne Dufourmantelle, « restées sous la peau comme des augures non déchiffrées ». En ce sens, cette exposition porte sur l’ambiguité de l’éblouissement : cet innommable peut aveugler, mais lorsque la peinture parvient à lui donner forme il est aussi ce qui dans le tableau, sans rien perdre de son mystère, se laisse contempler, nous faisant passer de la dépossession au ravissement.
L’inconnu est aussi celui des portraits, qui fait face au spectateur, car ces figures n’ont ni nom, ni modèle. Peuple d’étranges et d’anonymes, elles sont aussi inconnues pour elles-mêmes, perdues parfois dans les méandres d’une solitude trop profonde, comme l’être aux yeux d’animal de L’amour comme les limbes.
Car c’est dans son regard au fond que se loge le mystère de l’autre, et dans cette expérience énigmatique de le voir et d’être vu par lui qui est le cœur de cette exposition. Il y a toujours en lui un au-delà de ce que j’en vois (« c’était cet inconnu qui faisait le fond de son amour » raconte Proust), mais aussi de ce que ses yeux font de moi. Ils peuvent m’éclipser s’ils se détournent de moi ; me figer s’ils me fixent dans une seule image ; ou me permettre d’exister pleinement quand ils me reconnaissent tout en laissant libre en moi un espace d’inconnu.
C’est ce regard juste que je souhaite provoquer sur ces portraits : un regard qui, face à l’indétermination qui dérobe ces présences à la simple représentation, reconnaisse leur épaisseur de mystère sans les surplomber, et se laisse à son tour dévisager par elles.
L’inconnu enfin est le cœur de mon processus de peinture, ce que je cherche en me saisissant des accidents inanticipables de la matière, sans qu’une intention, seulement une énergie affective parfois, préexiste à ce contact physique. Ce non-savoir dans le travail n’est pas séparable de l'innommable que rend sensible le tableau. Cette expérience visuelle, sensuelle et corporelle que la peinture approche est inconnue, n’a rien à voir avec avec la signification, c’est une expérience d’abandon, de silence, de chair, d’étrangeté, d’angoisse et de désir. Le temps de parcourir cette exposition, soyons ainsi comme Caput mortuum seulement et entièrement un regard : silence, cette intensité ne se dit pas, tout est à voir.